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Pierre-Alain Tâche dans l’atelier contemporain

Après L’Idée contre l’image, Pierre-Alain Tâche publie un livre sur le dialogue qu’il entretient avec l’art en tant que poète et en tant qu’homme : Une réponse sans fin tentée. L’ouvrage paraît aux éditions de L’Atelier contemporain dirigées par François-Marie Deyrolle, qui favorisent le dialogue entre les écrivains et les artistes.

 

Le titre du livre indique déjà une direction essentielle: la poésie et la réflexion critique vécues toutes deux comme un effort toujours recommencé vers une vaste ouverture à l’univers de la relation (entre les arts, les œuvres, les hommes, le monde et ses représentations). Révolté contre une part de l’art contemporain qui ferait l’économie de toute interrogation et porterait, au mépris des fins éthiques de l’esthétique, des coups mortels à tout désir de rencontre (avec l’autre et avec le monde), le poète construit une forme à sa vie en retraçant passionnément les chemins qui l’ont porté vers l’un ou l’autre peintre. Il le fait en privilégiant l’émotion comme source vitale et sensible de toute réflexion.

Le livre rassemble des poèmes (don à la poète H. Dollohau ou écho à des arbres dessinés par A.Hollan) et des essais exigeants sur plusieurs peintres, en premier lieu ceux qui ont introduit pour lui l’amour de l’art. Le retour critique sur des tableaux de C. Gleyre et E. David lui offre de pouvoir affirmer qu’écrire réside pour lui « en un acte de foi qui se nourrit de la révélation du monde et de la présence au monde ». Contrairement à ces peintres trop sages qui n’ont pas assez scruté le cœur sombre des choses, P.-A. Tâche a bien reçu un héritage qui l’oblige, mais ne le contraint pas à une fidélité convenue.

Les autres peintres qu’il évoque sont des amis, comme J.-P. Berger. Discuter longuement avec lui aura conforté le désir d’un destin ambitieux pour l’art et pour la poésie: chercher « la lisière éblouissante du visible ». Et les peintres comme C. Garache, M. Bokor ou A. Hollan ont décidé, eux aussi, de «ne plus différer d’avoir à se porter “à travers l’épaisseur du visible, dans le monde de la contradiction“». Chacun, plus ou moins traversé par la joie ou par la douleur, donne ainsi, en se tenant au plus près de lui-même, en usant courageusement de sa liberté, « un surcroît de sens à nos existences. »

Conscients de la difficulté d’un corps à corps avec la matière du réel, de tels artistes laissent un large champ à la contemplation que P.-A. Tâche considère comme décisive pour « habiter poétiquement le monde ». Et ils donnent à la durée toute son importance pour essayer de retenir dans la force des traits, l’équilibre (ou le déséquilibre) des couleurs, la présence étonnante, violente et vivante, d’un objet, d’un arbre, d’un corps.

Ces peintres attentifs à ce qu’ils veulent parvenir à voir, à comprendre aussi, en se portant au-devant d’une « évidence obscure », suscitent de la part du poète une attention tout aussi intense. P-A. Tâche présente l’expérimentation d’une oeuvre d’art comme l’épreuve d’une « émanation de l’être » et il la tient pour nécessaire. Nécessaire (qui renvoie à Spinoza) lui paraît le mot juste pour désigner cette expérience fondamentale. Le poète conclut même qu’elle détient le salut de ce que nous appelons humanité.

 

Françoise Delorme

 

Pierre-Alain Tâche, Une Réponse sans fin tentée, Strasbourg, L’Atelier contemporain, 2015.

Illustration : d'après une lithographie de Claude Garache.