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Vahé Godel, Un arbre chante

« Je suis, oui, je demeure Entre deux (titre d’un recueil paru à La Différence, en 2007) ! ». C’est ainsi que se terminait un entretien avec Vahé Godel, en 2013. Un Arbre chante, récemment paru aux éditions de l’Aire, conjugue encore la tension entre tous les « entre » qui constituent sa vie et sa poésie, entre des pays, entre des langues, entre d’insurmontables contradictions parfois complémentaires, souvent conflictuelles.

 

Le titre même témoigne : un arbre chante, juste entre la puissance d’un enracinement — qui protège autant qu’il emprisonne et l’appel pressant d’un envol, d’une parole — qui signe une fragile beauté comme l’absolue vanité de tout.Vahé Godel disait aussi dans cet entretien s’étonner de ce que sa poésie lui paraissait plus sombre lue par les autres. Ce livre, qui allège autant que faire se peut la réalité si étrange de notre vie, développe aussi une intense part de nuit qui nous enveloppe, nous enfouit, nous appelle aussi pour que nous la traversions. Les traces que le poète y aura laissées, d’autres les liront. Leur ténacité dépendra de ce qu’il aura supporté ou créé d’intranquillité.

Trois parties forment ce livre : « Un arbre chante », « La voix le silence les yeux », « L’errance la dérive la trace ». Le chapitre « Un arbre chante » rassemble des poèmes épurés dont la musique est élégante et complexe, à la symbolique très simple : un oiseau (parfois dénommé – hirondelles), un arbre, des pierres, des fleurs, des êtres aimés — beaucoup de ces poèmes, plutôt courts et ramassés sont d’ailleurs adressés, à des amis, à des écrivains. Si ce livre peut être perçu comme une « élégie des oiseaux disparus », c’est parce qu’il relance une inextinguible confiance dans la parole poétique qu’un poème comme « Rien ne se perd » décline en volonté farouche de continuer à écrire, même si tout effort de sens est voué à l’échec:

 

j’écris

je crie

[…]

gribouillis brouhaha

lettres de sang

bouillie de sons

râles ratures

[…]

(rien ne se perd

le silence fait tache d’huile

– je tourne en rond

dans la maison des mots)

 

Le propos douloureux, en partie ironique, de ce poème est rééquilibré par une phrase très combative du dernier chapitre, lui aussi tissé comme le second de petites phrases — aphorismes ou notes méditatives, souvent passionnantes, sur la poésie, la vie. la vieillesse et la mort, la traduction :

 

La place de la poésie dans la culture contemporaine ?… souterraine, comme toujours… mais plus clandestine que jamais… insituable… et donc, en fin de compte, imprenable!

 

Insituable.

Il se pourrait que le thème si prégnant de l’errance dans toute la poésie de Vahé Godel ait aussi et surtout le goût de la liberté gagnée, de l’accueil de l’inconnu – celui qui nous reçoit comme celui que nous recevons . Il s’agit aussi d’essayer d’écarter d’autres douloureuses et violentes significations de cette errance et même de retourner l’adversité en chance, pas seulement pour le poète, mais pour chaque être humain avançant dans sa nuit:

 

Si le consumant désir de rompre demeure à l’exacte mesure de la résistance des chaînes, inversement, c’est dans la rupture qu’on puise la force de développer la relation, de poursuivre le tissage, de cultiver l’art de la fugue, de maîtriser le chaos.

 

Et Vahé Godel manie le paradoxe, le beau paradoxe à l’origine de toute aventure poétique: « Assurer la liaison et…faire sauter tous les verrous ». Même s’il sait — mais c’est dans un hommage à Villon ! — que même en créant la seule durée humaine qui nous soit accessible — et transmissible, tout se perd aussi:

 

pas un souffle pas une ride

pas l’ombre d’un murmure

j’ai beau lécher les genoux

du silence

la nuit tombe

les foulques s’assoupissent

— m’illumine la solitude

 

Le lecteur s’aperçoit à la longue que ce livre pourrait aussi s’entendre comme un éloge de la lumière, une sorte de lumière originelle — peut-être obscure — faite de mots que le poète doit écouter et, surtout, dire pour qu’elle existe:

 

demeure à l’écoute des pierres,

ne te retourne pas avant d’atteindre la lisière

(reste couvert)

[…]

sitôt franchie

la ligne d’horizon

les floraisons

se multiplient

les langues se délient

les sons

s’appellent se répondent

– si bien que tout

semble couler de source

 

Ne faudrait-il pas essayer, alors, de ne pas faire comme Orphée : ne pas se retourner?

Françoise Delorme