Les sept péchés capiteux est le premier spectacle monté par l’association Poésie ambulante. Cette dernière a plusieurs projets qui se destinent à animer le monde de la poésie, tout en le liant à d’autres horizons. À cette occasion, son co-fondateur, Philippe Constantin, revient dans un entretien sur les projets de l’association et sur sa première réalisation.
L’association Poésie ambulante a été lancée il y a quelques mois par Fanny Briand et Philippe Constantin. Tous deux connaissent déjà bien le monde de l’événementiel poétique: ils ont déjà participé à de nombreux événements en tant que poètes. Philippe Constantin s’investit par ailleurs dans plusieurs festivals, comme « Poésie en ville » et « Poésie aux Bains ». Poésie ambulante est une association qui se veut ouverte à tous et qui souhaite promouvoir des événements accessibles. Bien qu’il ne soit pas encore possible de le faire à cause de son jeune âge, le but est de proposer des événements gratuits, tout en respectant les auteurs et les participants.
Les sept péchés capiteux est le premier spectacle monté par Poésie ambulante. Liant la à la musique et la cuisine, le projet espère « éveiller les consciences et faire réfléchir au sens des choses et de la vie ». Sept auteurs se sont pour l’occasion appropriés un péché et lui consacrent un texte poétique. La première représentation a eu lieu le 5 mai dernier, et deux spectacles sont encore programmés les 2 et 3 juin prochains.
Emmanuelle Vollenweider
—
Emmanuelle Vollenweider: Fanny Briand et vous avez créé l’association Poésie ambulante avec pour volonté de promouvoir la poésie. A-t-elle réellement besoin d’être valorisée ? Que pensez-vous de sa situation en Suisse romande ?
Philippe Constantin: La poésie est partout. Elle a vécu son heure de gloire aux siècles passés puis est tombée dans une forme d’oubli. Peut-être trop intellectualisée ou, au contraire, parfois, trop romantique, c’est-à-dire fleur bleue etc. Elle s’est recroquevillée et est restée dans les livres au lieu de s’exprimer sur la place publique. Je crois que la poésie est vivante et l’oralité avant tout. Le grand mouvement émergeant ces dernières années est d’avoir su redonner à la poésie sa voix dans l’espace public. J’ai mille témoignages de personnes qui disent, en entendant lire de la poésie, « Ah, c’est ça la poésie, je vais revenir… »
La renaissance de la poésie en Suisse romande trouve son essor depuis peu d’années, grâce à toutes sortes de personnes qui ont décidé de la remettre en avant et de porter sa voix sur la place publique. Conséquemment, elle redore ses lettres de noblesse et éveille un intérêt de plus en plus prépondérant parmi la population qui en admire les mille et unes facettes. Parce que la poésie est vectrice d’images et de rêves dans lesquels chacun peut se retrouver.
E.V.: En quoi créer une association vous y aide-t-il ? Voyez-vous un besoin de se réunir aujourd’hui autour de la poésie ?
P.H.: Créer une association, c’est se doter d’un outil indispensable à la diffusion de valeurs et d’idées. C’est la possibilité de communiquer avec le monde. Je crois fondamentalement que le futur politique des sociétés doit se forger autour des fonctionnements associatifs. Il y a dans les associations le germe des structures sociétales de demain. Nul ne peut plus aujourd’hui travailler sans prendre en considération ces microcosmes d’habitants, d’intérêts, etc., et qui font toutes la richesse du tissus social et actif d’une communauté.
Se réunir autour de la poésie c’est être dans le futur, dans l’attente de la société, c’est redonner du rêve et de l’espoir là où certaines formes de pensées prédominantes ont balayé l’idée même de la liberté.
E.V.: Donner la voix aux poètes est-il l’unique moyen de faire circuler la poésie ? En quoi est-il nécessaire de les associer au processus de circulation et de valorisation des textes poétiques ?
P.H.: Comme exprimé plus haut, la poésie est oralité avant tout. On pourrait en dire autant de tous les arts. Théâtre, peinture, danse, musique; en ce qu’ils doivent être vus, entendus, perçus, vécus, pour prendre leur pleine ampleur. Un tableau reproduit dans un livre n’est pas un tableau. Un concert n’est pas un disque. La reproduction est cependant importante comme vecteur qui permet de faire circuler un texte, une image, un son et exister hors de son corps pour donner envie de découvrir plus loin d’autres champs de la pensée, tout autant que pour garder une trace de ce qui fut, de ce qui a existé et continuera d’exister au-delà du temps. Pour se reproduire ou être reproduit.
E.V.: Selon votre association, la poésie sert aussi « la cause sociale ». En quoi est-elle nécessaire à notre société ?
P.H.: Comme je le disais plus haut, la poésie est partout. Elle ne manque donc, par définition, nulle part. Encore faut-il la percevoir, la sentir, la découvrir, s’en faire l’écho…
Par convention sans doute, on imagine mal la poésie dans une usine de montage d’automobiles, dans les hautes sphères d’une banque, dans une mine de charbon ou de diamants, dans un supermarché ou une station-service. On l’imagine mal dans la rue, dans un EMS, une prison ou un asile psychiatrique. L’idée de poésie ambulante n’est pas tant d’amener la poésie dans ces endroits que de dire « elle est là » et d’essayer de la révéler.
E.V.: Deux de vos projets portent sur la musique et le cinéma. Comment parvenez-vous à y associer la poésie ?
Nos projets se portent sur tout et partout. La question n’est pas d’associer artificiellement des arts pour dire qu’ils sont équivalents, ou fouiller dans la glaise afin de trouver quelques points d’accroche, mais au contraire de voir l’ensemble de la vie comme pouvant avoir une cohérence sous ce point de vue ou un autre.
Tous les arts véhiculent une forme évidente de poésie. Sans bien sûr vouloir dire que la poésie prédomine. Cependant, la poésie a cet avantage d’être impalpable, indéfinie, quand on la prend hors de son contexte purement littéraire, et donc de pouvoir s’adapter comme un manteau de soie à toutes les formes d’expression. C’est pour cela qu’il faut voir la poésie dans son acceptation la plus large. Celle qui permettra à tout un chacun de revenir également vers le texte. Car tout est écrit. Une peinture, une pièce de théâtre, un film, une chorégraphie, une musique…
E.V.: Le spectacle Les sept péchés capiteux interroge poétiquement les sept péchés qui seraient à l’origine de l’ensemble des péchés de l’homme. Une manière de réfléchir sur notre société et sur son identité ?
P.H.: Les sept péchés capiteux… sont nommés ainsi parce qu’ils ne sont pas forcément capitaux !
Encore faudrait-il revenir à l’origine des mots. Sans compter sur le fait que nous les partageons sans doute tous un peu. Plus que réfléchir sur notre société ou notre identité, il s’agirait en fait plutôt de jugement sur nos personnalités et ce que cela implique sur le jugement de la société. Une histoire de poutre et de paille peut-être.
L’important étant que des auteurs aient eu envie de s’approprier un « péché » et de le transmettre avec courage et de vive-voix, comme un étendard devant le public pour dire sa vérité ou son ressenti.
C’est à travers ces expériences partagées que l’on remet à leur juste place les aiguilles dans les bottes de foin…