L’exploration des réseaux poétiques de Berlin se porte à présent sur son festival de poésie qui a lieu chaque année au mois de juin. Cette année encore, l’événement organisé par la Haus für Poesie a rassemblé dans la ville de nombreux poètes ainsi que des acteurs de la poésie allemande ou internationale. Présentation de l’édition 2025.
La Maison pour la poésie à Berlin organise depuis vingt-cinq ans un festival dédié à la poésie, ainsi que, depuis 2002, un festival de films poétiques (ZEBRA Poetry Film Festival). En 2025, l’événement a débuté le 3 juin, et était précédé d’un préprogramme depuis la mi-mai avec des lectures, interventions poétiques et projections. Les films documentaires de Frank Wierke consacrés, le premier, au poète Michael Hamburger et, le second, à Michael Krüger ont notamment été projetés. Par ailleurs, des soirées intitulées Coins des poètes (Poets’ Corner) invitaient le public dans différents lieux de la ville pour assister à des discussions entre poètes.
Le programme principal s’est ouvert le 3 juin avec le Discours berlinois sur la poésie (Berliner Rede zur Poesie), pris en charge cette année par Claudia Rankine, poète et professeure à l’université de Caroline du Sud, actuellement invitée en résidence dans un programme pour les arts à Berlin (DAAD). La suite du festival se déroulait dans deux lieux principaux: un bâtiment de l’Académie des arts et le «Silent Green», un espace qui accueille des événements culturels.
Dans le jardin du Silent Green, le festival proposait, pour commencer, des performances et installations initiant un dialogue entre arts plastiques et poésie. Le public a pu notamment découvrir le projet The Growing Sessions de José Delano autour de méthodes de culture traditionnelles et assister à une performance de l’artiste iranienne Farkhondeh Shahroudi. Le week-end de Pentecôte a rassemblé une cinquantaine de poètes internationaux pour des lectures d’un quart d’heure. En plus de ces événements gratuits, des soirées thématiques invitaient le public à des lectures et des discussions sur l’écriture des identités (Writing Identities), des fantômes (Writing Ghosts) ou encore des sports (Writing Sports). Un week-end était entièrement consacré à ce dernier thème et a cherché à explorer les liens entre poésie et sport. À noter qu’une journée conviait les familles et les enfants pour des lectures de poésie, de livres illustrés ou encore pour un atelier de haïku.
Le ZEBRA Poetry Film Festival a eu lieu du 5 au 8 juin et proposait le visionnage d’une centaine de films poétiques. Ces films, parfois expérimentaux ou documentaires, étaient répartis en quatre soirées centrées sur les thèmes suivants : histoires (Histories), connexions (Connections), voix (Voices) et chasses (Hautings). Par ailleurs, deux dates étaient dédiées au concours international. Parmi le millier de propositions reçues en provenance de plus de quatre-vingt-dix pays différents, vingt-cinq œuvres avaient été sélectionnées et trois prix ont été remis:
- The Ritter Sport Award 2025 a été attribué à Jah ! (Estonie 2024) de Madli Lään à partir d’un poème de Joonas Veelmaa.
- The Goethe Film Award for the Best Poetry Film 2025 de l’institut Goethe a été attribué à Thronebosis (Portugal 2024) de Marco Espirito Santo à partir d’un poème également de Marco Espirito Santo.
- The ZEBRA Award for the Best Poetry Film 2025 a été attribué à Extremely Short (Japon 2024) de Koji Yamamura à partir d’un poème de Furukawa Hideo.
Finalement, le festival s’est terminé avec une journée à l’Académie des arts lors de laquelle le public pouvait assister à des lectures et découvrir un marché de poésie avec une quarantaine de maisons d’édition et revues. La soirée de clôture intitulée Sonorité du monde, nuit de la poésie (Weltklang – Nacht der Poesie) a convié les poètes internationaux Yevgeniy Breyger, Olvido García Valdés, Maricela Guerrero, Monika Herceg, Sasja Janssen, Helen Mort, Stella Nyanzi et Rachel Zucker. Une anthologie des textes lus pendant la soirée avait été éditée pour l’occasion avec les traductions, parfois inédites, en anglais et en allemand des poèmes.
Nous avons pu constater que l’allemand occupait une place plus en retrait par rapport à d’autres langues mises en avant lors du festival. De nombreux événements donnaient la parole à des poètes internationaux qui écrivent en anglais ou dans d’autres langues (par exemple en espagnol, italien, français, néerlandais, coréen, japonais, chinois, etc.). Ainsi, l’allemand permettait avant tout de rendre accessibles les textes au reste du public. Un important travail de traduction a été mis en place avec, pendant les événements, un système de casques audio qui permettait aux spectateurs d’écouter les textes directement traduits en allemand et/ou en anglais par des interprètes. Cet aspect semble être le reflet d’une population berlinoise cosmopolite et montre une volonté d’attirer ce public international à la manifestation.
La soirée de clôture, à laquelle nous avons assisté, proposait un format simple, mais bien conçu. En plus du travail d’édition et de traduction des textes, des personnalités littéraires de Berlin présentaient les poètes, leurs parcours et leurs œuvres dans de courtes vidéos introductives. L’alternance entre les lectures et les présentations filmées a permis de rythmer l’événement et d’apporter une dimension réflexive supplémentaire aux lectures. En outre, les poètes invités – sept femmes et un homme – ont mis à l’honneur avec subtilité une poésie principalement produite par des femmes, sans que ce point ait eu besoin d’être longuement abordé. Les différences entre les poètes dans leurs manières de lire et d’interpréter leurs textes étaient particulièrement marquantes, entre la retenue et la précision évocatrice des lectures de la poète hollandaise Sasja Janssen ou de l’autrice mexicaine Maricela Guerrero, et la puissance de celles engagées de la poète et activiste Stella Nyanzi originaire d’Uganda, où elle a été à deux reprises emprisonnée pour des raisons politiques.
Première institution de l’espace germanophone entièrement dédiée à la poésie à recevoir des financements publics, la Maison pour la poésie a proposé un festival avec des événements variés. Les thèmes traités, mais également les formats des événements cherchaient à rassembler un public large. En outre des soirées formelles pour l’ouverture et la clôture du festival qui se sont déroulées dans la grande salle de l’Académie des arts, de nombreux événements prenant place dans le Silent Green, espace en partie extérieur, ou encore traitant de thèmes plus ordinaires, tels que le sport, proposaient également d’aborder la poésie à travers des événements à l’ambiance plus décontractée. Finalement, l’originalité de la manifestation réside sans doute également dans sa juxtaposition avec le festival de films poétiques qui fait écho à la tradition de la Berlinale et met en avant une autre forme d’expression poétique. Le festival de poésie à Berlin parvient ainsi à rassembler de nombreuses personnes qui célèbrent la poésie sous différentes formes.
Morgane Heine, en séjour académique à Berlin.