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Résidences virtuelles, épisode premier

Invités pendant quatre mois dans nos résidences virtuelles, trois poètes ont carte blanche pour livrer des interventions multiples. Les premiers textes viennent de nous parvenir d’une sylve de poètes résidant à Genève : Sylviane Dupuis, Sylvain Thévoz, Silvia Härri.

 

Trois poètes nous donnent à voir des visages complémentaires de la poésie contemporaine en Suisse romande. Sylviane Dupuis présente un « journal d’atelier » qui commence par des doutes — faut-il accepter ou non de venir en ces lieux ? « Il se pourrait aussi que l’obligation inconfortable où je me mets de livrer chaque mois un nouvel état de l’atelier soit une manière de conjuration de ce silence de près de trois ans dont je finissais par redouter qu’en matière de poème, il ne devînt définitif. » Sylviane Dupuis se confronte à un mur qui se défait progressivement par l’entrelacs des discours, des évocations politiques, des poèmes, des citations, des commentaires de poèmes, de tout ce qui donne accès à sa conscience en travail, tout près du travail. De manière un peu étrange, certains croient que les poètes se situent en deçà de la pensée ; mais ne pensent-ils pas à la pointe de l’homme, comme si la sensibilité, si aiguë et en même temps si épuisante parfois, rassemblait les nervures du quotidien ? Silvia Härri pense également en cette ouverture de sa résidence à la portée de la poésie, à sa manière de se bâtir au jour le jour. Ne serait-ce pas alors prendre le réel ou le poème comme un oignon ? « Ecrire est aussi se dépouiller. Eplucher le texte comme un oignon, strate par strate, le dénuder de ces peaux qui le masquent jusqu’à la dernière. Et tenir dans sa paume ce qui reste, fine membrane de mots vacillant sur le silence. Réduire, condenser, chercher une essentialité qui n’a rien de commun avec le raccourci et la simplification. » Elle accompagne sa réflexion de trois poèmes tirés de son dernier recueil. Dans un style tout à fait différent, Sylvain Thévoz livre un texte intitulé « Je suis tabou », consacré à un enfant migrant de huit ans retrouvé dans une valise ; il échappe aux femmes qui bronzent, aux femmes qui adoptent, aux femmes qui marient : « Il les entend dire, les grosses : citoyenne du monde citizen of the world i am je suis, se prendre en photo, selfie bras dessus bras dessous, et chanter presque we are the world avec un regard mièvre bombé de bonté et de charité sur lui. Elles se prennent pour Madonna, Mère Teresa, Lady Gaga, elles s’ouvrent les chakras au forceps avec leur road-trip sous les étoiles, avec du sable et du sable encore, partout. » Trois résidences sont inaugurées : l’une donne directement sur la chambre bleue de Sylviane Dupuis, l’autre sur la salle à manger jaune de Sylvain Thévoz, la troisième sur le salon rouge de Silvia Härri. Les nouvelles interventions se feront désormais au rythme des auteurs. Soyez les bienvenus auprès des poètes.

 

Antonio Rodriguez