Nous reprenons le fil des enquêtes auprès des poètes contemporains. Qu’en est-il de l’intime dans leurs créations, dans leurs poèmes ou dans leurs projets en littérature? Sept poètes en Suisse romande répondent à cette question, en prenant le temps de nous livrer leur nécessité d’écrire de la poésie aujourd’hui.
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Autour de l’intime
L’aspect insaisissable, presque volatile de l’intime, se donne d’emblée dans le texte de Pierre-Alain Tâche. Il souligne la difficulté de ramener l’intime à une définition univoque. Selon lui, il dépasse également le cadre de la poésie, de telle sorte que l’auteur qui l’exprime a finalement plus d’importance que le genre dans lequel il est présenté. La question qui l’occupe ainsi est celle de la limite: jusqu’à quel point l’auteur doit se livrer? S’approprier l’intime, en dessiner les contours est un exercice délicat. Pour le poète, cette conscience doit faire partie de l’acte d’écriture, car elle permet une ouverture et une certaine liberté d’interprétation au lecteur.
Jean-Pierre Vallotton, pour cette exploration, se munit du dictionnaire et dévoile les aspérités, les qualités de la matière qui y est présente, et à partir de laquelle il forge sa propre définition. Cette complexité définitionnelle de l’intime est également évoquée par Eric Duvoisin: selon lui, l’intime est un état d’être en constante mutation, mû par le contact avec le monde et ses turbulences. Il échappe ainsi à une définition générale, se modulant dans le temps et au fil des expériences de chacun; un sujet qu’il traite particulièrement dans son travail d’écriture poétique.
Le poème, un «lieu à soi»
Plus que de représenter un espace pour l’exhibition du moi, le poème peut être, comme le propose Sylviane Dupuis, le lieu de l’expression d’une vérité; celle qui échappe au poète lui-même, celle qui apparaît à son insu. Vérité des profondeurs, «source secrète de l’existence», qui jette invariablement un pont entre l’intime de l’auteur et celui du lecteur. L’intime, alors, appartient et n’appartient pas au poète. Il s’agit d’une matière brute, inexplorée encore, qui fait surface dans les mots, la langue elle-même, pour partager avec son lecteur. Ce partage est d’autant plus important, pour Marina Skalova, lorsqu’il permet de témoigner d’une réalité vécue par le corps, qui, par le biais de la langue, devient collective et sociale. La poète rappelle le pouvoir subversif de l’intime, permettant de donner la place, de laisser la place au corps féminin et à ses odyssées.
Force exploratoire de la poésie
Le poème permet alors peut-être mieux que d’autres genres d’explorer cet intime, cette entité aux multiples visages. Françoise Delorme souligne la force exploratoire de ce genre, mêlant autant d’émotions que de réflexions, et permettant à la matière intime de s’exprimer avec une distance et une durée. Elle rend de ce fait les frontières entre dehors et dedans, vie intérieure et extérieur, nébuleuses et indiscernables.
Une autre langue, une autre voix
L’intime peut aussi, en se manifestant le mieux grâce à la poésie, s’exprimer le plus dans une autre langue. Pour Cesare Mongodi, c’est la langue italienne (celle de son enfance et adolescence) qui lui permet de creuser au plus profond de lui, et de livrer l’intime autrement; par d’autres mots, d’autres nuances. Exprimer l’intime doit peut-être avant tout être cela: donner à voir et à lire ce qui vient du plus profond de soi, extraire le matériau brut. C’est finalement ce que font un peu les sept poètes romands en partageant avec nous leurs réflexions, leur poésie et leurs définitions de l’intime dans cette nouvelle enquête.