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La poésie, une voie (voix) à transmettre! — Christophe Imperiali

Enseigner la poésie aujourd’hui, quels défis? Une nouvelle série d’articles arrive sur poesieromande.ch, où les enseignants s’expriment sur le sujet: quels instruments privilégier? Qu’est-il important de transmettre? Quels rôles ont les écoles, les universités? La série s’ouvre par la voix de Christophe Imperiali, nouveau professeur de littérature française à l’Université de Neuchâtel.

Sandra Willhalm: Vous venez d’être nommé professeur de littérature française depuis le semestre d’automne à l’Université de Neuchâtel. Comment se présente et se présentera la poésie dans votre enseignement?

Christophe Imperiali: Étant en charge de l’enseignement de la littérature du XIXe siècle et du début du XXe , j’ai la chance de pouvoir fréquenter dans mes cours les poètes qui sont a priori les plus lus et les plus prisés des étudiants. Les différentes approches offertes par nos plans d’études permettent d’aborder des corpus poétiques soit dans une approche centrée sur un auteur en particulier, soit dans une perspective d’histoire littéraire, soit encore dans le cadre d’une investigation sur des questions de formes et de genres. C’est dire que les moyens de parler de poésie et de lire de la poésie sont nombreux, et je ne pense pas me priver d’en profiter!

S.W.: La transmission et l’apprentissage de la poésie suscitent des interrogations très intéressantes, que l’on peut notamment retrouver sur certaines plateformes comme poesie-en-classe.ch. Quels instruments pensez-vous vous-même utiliser dans le cadre de vos cours? En quoi consisteraient des méthodes innovantes selon vous aujourd’hui?

C.I.: À mon sens, la poésie est fondamentalement une question de lecture. « Lecture » au sens de l’actualisation d’un texte dans le temps d’une diction, mais aussi au sens du regard porté sur un texte. C’est une des fonctions fondamentales du vers que de nous dire, au moment même où l’on pose l’œil sur la page : « attention! poésie en vue! ne me lisez pas comme vous liriez de la prose! ». De fait, le vers nous invite spontanément, je crois, à prendre en compte beaucoup plus qu’on ne le ferait autrement la texture sonore des mots, leur opacité, leur matérialité, leur polysémie aussi, et la duplicité qu’ils offrent entre ce qu’ils désignent et ce qu’ils sont, en tant que mots. Et rien n’empêche, bien entendu, de lire de cette même manière de la prose, qui devient ainsi « poésie » parce qu’on accepte ou parce qu’on choisit de la lire et de l’entendre comme telle.

Faire entendre, c’est ce qui m’importe le plus dans mon enseignement. Et pour faire entendre la poésie à des étudiants, il faut la leur faire lire à haute voix. Il faut aussi les inviter à tenter une écriture, pour sentir la part que prend l’oreille (fût-elle intérieure) dans le choix et la disposition des mots. Et puis il faut leur faire écouter des poètes, lorsque c’est possible. Ce qui est de plus en plus le cas, grâce à des initiatives du type de la précieuse anthologie vidéo de poesieromande.ch, qui s’inscrit dans une tradition d’enregistrement de poésie qui remonte à plus d’un siècle déjà.

S.W.: En quoi l’Université de Neuchâtel peut-elle avoir un impact sur la littérature et la poésie en Suisse romande?

C.I.: Elle peut d’abord contribuer à diffuser parmi ses étudiants, comme une dangereuse contagion, le goût de la poésie. Et gager que, de proche en proche, elle contribuera par là à une épidémie que ne verraient pas sans trembler les garants d’un monde normalisé, où tout est bien à sa place!

Plus sérieusement: en un moment où les études littéraires, notamment en France, paraissent faire la part belle à la prose narrative ou au théâtre bien plus qu’à ce parent pauvre que reste la poésie, il me semble que les universités ont un rôle à jouer dans ce qui m’apparaît comme un rééquilibrage souhaitable.

S.W.: Parallèlement à votre travail de professeur, souhaitez-vous développer d’autres projets autour de la poésie?

C.I.: Sur un plan académique, j’aimerais beaucoup contribuer à ouvrir le champ de recherches qui s’appuieraient beaucoup plus sérieusement sur les productions orales, notamment dans l’idée de comparer de manière systématique les deux « états » d’un poème que livrent des auteurs lorsqu’ils publient leurs textes sur papier et, par ailleurs, les lisent devant un micro. Dans quelle mesure s’agit-il du même texte sous ces deux formes bien différentes? Où serait « le poème » : sur la page? dans le moment de la diction? L’un et l’autre? L’un ou l’autre? etc.

Je signale par ailleurs, en passant, que je fais partie du jury d’un prix de poésie (la Feuille de chêne). Je n’ignore pas que le règlement de ce concours, d’allure plutôt conservatrice dans la mesure où il impose de passer sous les fourches caudines du vers métrique, n’a pas séduit tous ceux qui se tiennent pour poètes tout en se tenant également bien loin du vers classique. Nous sommes d’ailleurs quelques-uns dans le jury de ce concours à avoir plaidé avec énergie pour un assouplissement de la règle, qui me paraît à présent admissible même pour ceux qui écrivent plus volontiers dans des formes plus libres. Quoi qu’il en soit, le prix de la 3ème édition de ce concours vient d’être décerné à deux lauréats dont j’ai eu le plaisir de constater (une fois le masque de l’anonymat tombé) qu’ils étaient, l’un et l’autre, fraîchement diplômés ès lettres. Vous voyez: des jeunes gens prennent leur plume et font vivre la poésie. L’épidémie se propage!