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Deux concours, deux esprits de la poésie

Pendant le premier Printemps de la poésie, deux concours, à l’esprit bien différent, permettront d’écrire des poèmes. Pour parvenir à des jeux de mots ou à des jeux floraux de qualité, les doigts sont conviés à s’essayer au clavier et à partager des états poétiques en terres romandes.

 

En mars, l’Université de Lausanne a lancé un concours de « twaikus », c’est-à-dire de haïkus sur les réseaux sociaux, plus particulièrement sur Twitter, pour fêter le premier Printemps de la poésie. L’idée revient au sémillant service de communication de l’académie vaudoise, qui aime susciter la créativité auprès d’un large public en l’associant aux réflexions critiques pointues de ses chercheurs. Il s’agit dans ce cas de débusquer l’image, le rythme et l’effet de surprise à partir d’une forme japonaise désormais internationalisée en vers libre. Le haïku convoque l’envie de trouver la belle suggestion à partir de la nature pour dire la précarité des hommes et leur besoin de ressourcement.

 

Devant l’éclair —
Sublime est celui
Qui ne sait rien !

Matsuo Bashõ

 

Après deux jours seulement, plus d’une trentaine de haïkus, parfois avec des illustrations (selon la tradition orientale modernisée des liens entre poésie, calligraphie et peinture), ont été postés. Au terme de la joute poétique qui mobilise une région pendant trois semaines se trouve un jury et un prix : des bons à hauteur de fr. 1.000.- auprès des librairies Payot, initiatrices du Printemps de la poésie avec l’Université de Lausanne, sa Faculté des Lettres et le site poesieromande.ch. Mais l’idée principale consiste avant tout à dédramatiser l’acte d’écrire un poème, en invitant le public à réaliser des formes brèves et a priori assez maniables.

 

Bien différent est l’esprit d’un autre prix littéraire, lancé cet hiver, la Feuille de chêne, créé par la Fondation Regamey. Il s’agit cette fois d’une exigence formelle, voire d’une performance plus ancestrale, associée aux jeux floraux des académies et des sociétés savantes. L’auteur est inviter à remettre un ensemble de textes qui doit distinguer une forme de poésie dite « traditionnelle », principalement en vers réguliers et avec au moins cinq sonnets. Derrière ce prix fortement doté, fr. 10.000.-, se trouve la volonté de voir se renouveler la technicité de la poésie, ses capacités chantantes dans une métrique parfois largement oubliée, y compris par les poètes contemporains. D’aucuns évoqueront l’idéologie des formes de la poésie dans ces deux concours : y aurait-il une tendance plus conservatrice d’un côté et une orientation plus proche de la communication cosmopolite et mondialisée de l’autre ? Il n’empêche que les deux concours ont leurs vertus et que le site poesieromande.ch les soutient. L’idée de favoriser la créativité auprès d’un large public, avec des sensibilités et une disponibilité différentes, de se frotter aux difficultés de l’écriture poétique, ne peut qu’aider à améliorer la qualité de la lecture de ce genre d’une manière générale.

 

Nous invitons donc tous ceux qui bénéficient d’un peu de wifi à se détendre par l’envoi d’un haïku pendant un cours, un voyage ou une réunion, simplement pour s’amuser et se dire que la poésie n’est pas un parnasse inatteignable, alors que nous invitons ceux qui sont plus enclins à la technicité, à un chant dans le labyrinthe de la langue, à reprendre le métier de l’alexandrin ou des vers réguliers pour parvenir à séduire un jury, et à le tourmenter, par des poèmes qui renouvellent notre tradition. Car il n’y a peut-être qu’une tradition : celle de mettre en mouvement les lecteurs, de créer des « soubresauts » et de les toucher par des poèmes courts ou des poèmes longs.

 

Antonio Rodriguez