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Clôture virtuelle des résidences

Que les poètes nous ouvrent amicalement une lucarne de leur atelier, l’espace physique ou mental où ils créent : telle est l’ambition de ces résidences virtuelles. La rencontre entre lecteurs et poètes se fait virtuellement autour d’un travail en chantier, autour de réflexions, de difficultés quotidiennes. Tout semble pouvoir entrer dans l’espace de la résidence virtuelle.

 

Patrice Duret a immédiatement aménagé sa résidence en questionnant sa pratique et l’état de la poésie en Suisse romande, en s’interrogeant sur un possible renouvellement, sans pour autant s’installer dans l’improductive tabula rasa:

 

Comment se renouveler ? Ne pas se contenter des sentiments galvaudés, des thèmes ou concepts usés qui enlisent, ankylosent la poésie. Il ne suffit plus d’aligner trois fleurs, deux tourments, un vol de perdrix, une chose vue, un petit déjeuner sur l’herbe – sauf si l’herbe est orange, moulinée par les temps atomiques. […]

On renouvelle, on s’adapte – mais sans omettre, sans détruire la filiation.

 

Se dessinent au fur et à mesure les murs de la résidence, tapissés de questions, de notes poétiques, de traits d’humour (« Si tu jettes tes mots dans la bataille, tie-break au cinquième set. Si tu enfonces le clou, tu enfonces le clown. »), de choses vues ou lues, le tout pris dans les flots d’une « langue-saccade, langue-cascade ». Patrice Duret préfère la forme courte, le fragment, l’écriture incisive qui se marie bien au support de l’écran, où l’attention est constamment appelée par un autre onglet, une autre fenêtre, un autre lien à faire.

Pierre-Alain Tâche, quant à lui, fait plutôt le choix inverse. Chacune de ses contributions prend le temps de commenter, d’observer et parfois même de digresser, mais toujours en gravitant autour de la poésie. Car la poésie, on s’en rend compte en lisant les lignes de Pierre-Alain Tâche, est bien « une attitude ». Si l’on sent le poète prendre du plaisir à l’exercice de la résidence qui bouscule sa pratique habituelle – plus lente, sans l’urgence d’une publication immédiate –, on perçoit toutefois une certaine appréhension avec ce mode d’écriture. Et c’est cette tension entre ces deux pôles (entre l’urgence et la patience dirait Jean-Philippe Toussaint) qui rend sa résidence des plus riches :

 

J’avoue avoir beaucoup hésité à puiser délibérément dans un matériau si récent. (Par volonté de ne rien brusquer, par crainte de tout gâcher, par excès de pudeur, par peur du ridicule ? Sans doute à raison d’un peu tout cela.) Mais, selon les règles que je me suis données en acceptant le principe de cette résidence, une telle dérogation à ma pratique ordinaire me semble faire partie intégrante de ce à quoi j’ai choisi de consentir ; en sorte qu’il me faut aussi accepter la prise de risque qu’elle implique. Je me propose donc de retranscrire ici l’une des notes en question, puis de livrer, sans plus amples états d’âme, ce qu’il pourrait advenir d’elle au fil des semaines à venir.

 

Enfin, la résidence de Gaia Grandin se présente comme une table de travail recouverte de « l’hétéroclite et habituel fouillis accumulé », pour reprendre une expression de Claude Simon, dont Le Tramway est cité sans même être lu ni ouvert. Carnets de notes, livres, poèmes des autres, souvenirs, observations, c’est ce matériau que Gaia Grandin travaille pour écrire des poèmes. Parfois cela fait des poèmes, parfois rien du tout :

 

Je pense écrire (parfois) des textes qu’on peut nommer « poèmes » (et bien oui, tiens donc !) et j’ai envers cette production de textes une certaine exigence qui n’a rien de calculé. Parfois le texte qui émerge est un poème et parfois pas. Le texte qui émerge est quelque chose (un poème) ou n’est rien (rien du tout, delete, poubelle). À moi de décider, si c’est « quelque chose » ou pas. Généralement, si c’est bon, c’est un poème. Si c’est mauvais, ce n’est rien. Bon ou mauvais, subjectif ! Attention ! Interdit ! Le matériel que j’utilise pour écrire mes poèmes sont des notes, des résidus de poèmes, les poèmes des autres, quelques mots, que je retravaille, et moule pendant plusieurs mois. Je tâtonne dans le noir, je ne sais pas vraiment ce que je fais. Souvent, je ne remarque même pas que j’écris.

 

Ces trois résidences, radicalement différentes les unes des autres, nous aurons permis d’observer trois façons de travailler, avec parfois des points de rencontres entre les poètes-résidents. Dans les trois cas pourtant, on remarque un écart – mais toujours productif – entre le temps long et lent, le temps de la décantation de la poésie et le temps court, rapide, celui de la publication de la résidence virtuelle.

Nous remercions très chaleureusement les trois poètes de s’être prêtés à cet exercice difficile.

 

Romain Buffat