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Traduire: affirmer, proposer, ouvrir — Entretien avec Camille Logoz

Traductrice littéraire après des études de Lettres à l’Université de Lausanne, Camille Logoz a notamment contribué à l’ouvrage Le Poème et le territoire (Noir sur blanc, 2019). Après son mémoire sous la direction d’Irene Weber au sein du Centre de Traduction Littéraire, elle se lance en tant que traductrice avec une pratique constante. Elle est membre du comité Lyrical Valley, et elle livre ici son expérience et son approche des textes poétiques.

Morgane Perrin: Qu’est-ce qui vous a conduit à exercer l’activité de traductrice? Qu’est-ce qui vous plaît particulièrement dans cette activité?

Camille Logoz: J’ai grandi entre deux langues, et j’ai reproduit cette situation avec le choix de mes études (français/allemand). La traduction littéraire s’est rapidement imposée comme une façon de travailler la littérature tout en gardant ce rapport plurilingue. J’étais aussi consciente que cela me donnerait une plus grande flexibilité professionnelle. Ce que j’aime le plus dans la traduction est le mélange entre travail créatif, qui demande audace et inspiration, travail artisanal, qui demande minutie et attention, et travail intellectuel, qui demande recherche et réflexion.

M.P.: Pour faire suite à cette première question, quelles sont les qualités que l’on attend d’une traductrice de poésie? Les attentes sont-elles différentes lorsqu’on traduit ce genre littéraire?

C.L.: Je ne suis pas sûre qu’il y ait une seule réponse à cette question. Pour ma part, je dirais que pour traduire de la poésie, il faut d’abord une volonté profonde de comprendre le poème, même si cette compréhension est très personnelle (soit une interprétation). Cela s’apparente pour moi à une forme de conviction, de résolution, et se transforme donc en un geste volontaire. Une traduction de poème, c’est toujours une affirmation, une proposition et, surtout, ça n’est jamais définitif. Il faut donc aussi de l’humilité – ce qui ne revient pas à s’effacer. Je pense au contraire qu’il faut que ce soit un geste très assumé. Ce qui implique à mes yeux un dernier critère: une traduction doit constituer un ensemble cohérent, et elle doit reposer sur un projet ou une vision identifiable. Je ne pense pas que la traduction en poésie requière des qualités foncièrement différentes de la traduction en général. Elle demande parfois plus d’érudition, mais elle demande aussi plus de malléabilité, plus de créativité. C’est donc à la fois très sérieux et très joueur.

M.P.: Comment avez-vous été amenée à traduire les textes sur lesquels vous avez travaillé? Préférez-vous certains types de textes à d’autres?

C.L.: Certains sont des commandes de maison d’édition ou de revues, d’autres sont des projets personnels que j’ai tentés, avec ou sans succès, de publier quelque part. Quelle que soit la façon dont le texte arrive à moi, j’y consacre la même attention et le même intérêt que s’il s’agissait d’un coup de cœur personnel. Je ne me suis jamais ennuyée avec un texte. J’y trouve toujours une qualité ou une beauté que j’essaie de mettre en avant par ma traduction. C’est difficile de dire quel type de textes je préfère: personnellement, je lis surtout de la poésie, de la fiction contemporaine (particulièrement des textes axés sur la subjectivité et la description de l’ordinaire) et des essais féministes. Donc, quand je peux traduire un texte qui correspond à l’une de ces catégories (déjà très larges en soi), je suis ravie. Pourtant, j’ai aussi déjà traduit des textes qui changeaient complètement de mes goûts personnels et qui me forçaient à me déplacer, ce qui était bien sûr très enrichissant.

M.P.: Quels sont les éléments qui alimentent le travail de traduction? Êtes-vous amenée à rencontrer l’auteur? Devez-vous mener certaines recherches au préalable?

C.L.: Probablement que ce qui alimente le plus mon travail de traduction, ce sont mes propres lectures, interactions, réflexions; soit ma propre expérience du langage. Pour certains projets, il peut m’arriver d’essayer sciemment de l’orienter, par exemple en lisant certains textes français qui pourraient selon moi m’aider à recréer le ton que je cherche. Quand je le peux, je rencontre toujours l’auteur ou l’autrice, oui. S’ils ne sont plus vivants, je parle avec des spécialistes, ses proches, etc. Je pose mes questions sur le texte, je creuse les aspects qui m’intéressent, je confronte mes interprétations aux leurs, etc. Quant à mes recherches personnelles, je les fais au fur et à mesure, en avançant dans le texte, selon les besoins que je constate. Je ne me prépare pas beaucoup en amont avant de commencer à traduire. Ce sont principalement des recherches lexicales – parfois terminologiques –, d’occurrences, d’emplois, d’usage selon l’époque. De temps à autre, il faut aussi vérifier des citations. Et cela m’est aussi arrivé de lire pour me renseigner ou me plonger dans certains univers particuliers.

M.P.: Lorsque vous êtes confrontée à un mot qui n’est pas exactement traduisible en langue française, quels sont les critères qui vous permettent de trouver une alternative qui correspond aux mots de l’auteur?

C.L.: La situation décrite ici est plus la règle que l’exception. La traduction constitue une longue série de décisions. Pour chacune des solutions que je trouve, je me fie à ma lecture, à ce que le texte suscite en moi, c’est une recherche aussi bien rigoureuse qu’émotionnelle. J’essaie de trouver les mots justes, et je regarde quel effet cela fait dans l’ensemble, si cela s’intègre bien. Je compare ce que disent et font l’original et ma traduction. C’est important aussi d’avoir un œil extérieur, de demander l’avis de quelqu’un d’autre. Si une traduction est toujours personnelle et subjective, elle doit bien sûr s’adresser à une collectivité.

M.P.: Est-il possible de toujours rester très proche du texte d’origine? Quelle est la part de création propre au traducteur ou à la traductrice dans ce type de travail?

C.L.: Bien sûr que c’est possible. Mais le texte d’origine n’est de loin pas la seule aune à prendre en compte pour le travail de traduction. J’essaie tout autant de rester proche de la langue d’arrivée, du genre littéraire, de son degré d’innovation, de son registre de langue, des propositions linguistiques et stylistiques, de l’univers narratif, etc. Un texte, original ou traduit, est toujours multidimensionnel. Raison pour laquelle je pense que le prisme de la fidélité n’est pas le meilleur pour penser et évaluer la traduction. Il y a une multiplicité de paramètres à observer, et la fidélité implique plutôt un mode de relation binaire. Si la traduction est évidemment une création, cela ne l’affranchit pas de certaines obligations, que personnellement je décris plutôt comme de la loyauté et de l’honnêteté.

Propos recueillis par Morgane Perrin

Photographie: © Jeanne Martel

Cet entretien a été mené dans le cadre des validations du Cours/TP Poésie, automne 2020, de la Section de français de l'Université de Lausanne.