À la fin de l’année 2016 a paru aux éditions Tarabuste À la longue de Françoise Delorme. Son écriture se déploie dans une proximité avec la nature, esquissant un mouvement pour dire – ou redire – la naissance de la parole poétique.
Françoise Delorme aime mêler nature et poésie, écriture et critique, tout en travaillant la céramique. Elle contribue à la rédaction des sites viceversalitterature.ch et poesieromande.ch, tout en publiant ses propres œuvres, souvent en collaboration avec des peintres, des céramistes ou des sculpteurs. Son nouveau recueil se divise en quatre parties, dont deux parallèlement aux œuvres d’un peintre et d’une céramiste. Le lecteur progresse d’une partie à l’autre, du poème en prose au vers libre selon une cadence régulière : à chaque partie son unité, à la fois graphique, formelle ou thématique. Saturée d’échos, c’est une poésie d’apparence homogène et au ton tranquille :
Elle devra inventer l’or avec ses mains les nœuds de son sang
Sont des glissements plus lents que l’eau plus lents que le bois
Leur lenteur protège la lumière sécrète l’épaisseur du noir (129)
La lenteur s’impose dans une lecture à tâtons où il faut revenir sur ses pas, se cogner aux coins des pages, assembler des symboles qui rechignent à s’expliciter dans une lumière trop crue. On glisse d’échos en paradoxes, du noir de l’encre au blanc du papier. Car la poésie naît d’un paradoxe et dit le paradoxe de l’ombre et la lumière, de la parole et du silence. Ainsi s’établit un dialogue :
Mais dans l’étreinte de la terre
Une solitude flamboie
Pour toucher les doigts de l’autre
Il faudra faire éclater le silence
Et laisser s’immiscer le noir (56)
Le geste entre l’intérieur et l’extérieur en direction de l’autre s’accompagne d’un mouvement cyclique jusqu’à la genèse du monde, de la parole et de soi :
Tu entends le silence au fond d’une musique
et tu sais que c’est naître qu’il faut dire (115)
La naissance, intimement liée au langage, renvoie à l’identité de soi et à sa ressemblance avec la nature :
C’est comme si un « je » enfin imprudent disait enfin oui au vent qui le prolonge, qui secoue (9)
Et il est là, ce « je » qui se constitue dans les racines du temps, du début à la fin comme une sève qui circule sans cesse dans le même arbre, à lire et relire dans les échos qui ricochent entre le jour et la nuit.
Elle passe elle avance dans le silence des ressemblances
Elle naît dans la confusion provisoire sa vive compagne
La lumière qu’on le sache ne surgit pas dans le ventre des mères
Elle n’a pas d’apparences elle diffuse c’est un fruit le soleil
Ne se lève pas hors d’un silence dans la part obscure du cœur (130)
Ainsi la lecture, loin d’être close, invite à creuser la nuit encore et encore, à tâtonner les couleurs de la terre pour retrouver une poésie de « paroles repliées à l’intérieur d’un chant de silence » (121) – paroles d’autant plus précieuses qu’elles ne se donnent pas sans un certain temps de circonvolution.
Céline Stadler