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Le grand souffle « à perdre haleine » d’Alexandre Voisard : Ajours suivi de Médaillons

L’actualité éditoriale d’Alexandre Voisard a été riche l’automne dernier : en plus du récit Notre-Dame des égarées, chez Zoé, l’auteur jurassien a publié aux éditions belges Le Taillis Pré un nouveau recueil poétique. Les courts poèmes d’Ajours et les proses poétiques de Médaillons y célèbrent le dialogue de l’encre et du paysage, d’un émerveillement toujours renouvelé devant le monde. En écho aux poèmes d’Ajours répondent les œuvres peintes de l’auteur, malheureusement insuffisamment mises en valeur par l’édition.

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que « le grand âge à perdre haleine » d’Alexandre Voisard ne tarit pas son souffle poétique. On salue cette poésie de grand air, « entre monts et merveilles », aiguisée par l’horizon. Une poésie volontiers butineuse, curieuse, en perpétuel mouvement d’étonnement face à la beauté du monde, à sa mobilité créatrice :

 

A regarder de près
L’abeille aux étamines
Le maître se fait humble
Et dans sa main
Le compas balbutie
Le temps d’un soupir.

 

Les pages d’Ajours bruissent du vol d’insectes et d’oiseaux et nous donnent à voir un bestiaire amical, loup, biche ou hibou :

 

Nuit après nuit
À ton chevet
Le hibou veille
Sur tes rêves
Sans y entendre
Goutte

 

Signes de présence, les animaux témoignent d’un vivant proche mais parfois incompréhensible : nous ne sommes pas sûrs de les comprendre, mais l’incommunicabilité entre les règnes du vivant n’empêche pas de vivre en bon voisinage. Ailleurs, en herboriste de la langue, le poète collectionne quelques bouquets de métaphores (Que ton aveu / au chèvrefeuille / ne fasse pas / rougir le muguet) dont il fait cadeau au lecteur amusé.

De cet accord durable avec le monde, le poète pourtant n’est jamais garanti : en chasseur de traces, ce « veilleur à livre ouvert » doit sans cesse se remettre en question, reprendre la route, suivre la sente, dans une quête infinie et inachevable :

 

Et bientôt
On revient sur ses pas
On se reprend
Rien n’est dit encore
De l’infranchissable exil.

Un homme croit
tout savoir de la prairie
qu’il arpenta longtemps
alors que l’herbe encore
lui cache le grillon
tapi en son chant.

 

Dans Ajours, il faut gratter la vitre, buriner le cuivre, creuser la langue pour dégager une forme, une lumière « toujours neuve », par fragments de sens ou éclats de lumière. Les ateliers du graveur et du poète se rejoignent alors dans une quête patiente et sans cesse reprise du paysage de l’œuvre, qu’il soit formulé sur le cuivre ou la page. Les textes de Médaillons célèbrent ainsi le compagnonnage des artistes amis, dont les œuvres témoignent d’un soucis commun au graveur et au poète du travail de la matière, car « tout est matière, tout est poème au fond du fond de la moindre archive saisonnière ».

L’acte créateur est bien ce geste simple et habité de l’artisan, dont l’art et la main sûre savent guetter, dépasser les leurres pour saisir l’essentiel du silence ou de la matière ; ce geste d’ajourer, de ménager à la lumière une brèche, où retrouver la voix : « Quand viendra l’heure de fendre l’air pour toucher du doigt, à l’instant juste, telle touffe espérée d’aurore, quand s’entrebâillera insoupçonnée une fenêtre à l’angle d’une muraille caduque, le messager retrouvera intacts ses mots dans le chahut de son essoufflement. » Un état d’être qui suppose dans le même temps une grande disponibilité intérieure : il s’agit bien de suspendre un moment le pouvoir sur les choses, pour les laisser elles-mêmes éclore, être « celui qui sait ne pas savoir » ; « se perdre, errer… Se perdre, oui, si c’est pour naître, si c’est pour renaître.. ». Dans cette démarche, l’errance renouvelée permet d’atteindre une sorte de sagesse, un viatique qui a valeur d’éthique poétique mais aussi de vie :


Au plus profond
du désarroi
au pli du pire
l’espérance coule de source
vers ce qui s’accomplira
vaille que vaille

 

Il y a bien au centre de cette œuvre poétique l’espérance, comme un moteur de la marche et de la parole ; le poème est dépositaire d’une sagesse simple, humble, lumineuse. On devine entre les lignes un plaisir intact et une joie ludique dans la création, et j’apprécie dans ce recueil d’Alexandre Voisard un regard sur les choses et le monde empreint de tendresse amusée, d’une confiance souriante dans le vivant et l’évidence de la vie. Un regard poétique fait de confidence émerveillée, un brin ironique parfois, mais toujours généreux :


Sur son nuage une biche
peut se tromper d’étage
et sonner à la porte
du braconnier réveillé
en plein rut.

 

Eric Duvoisin