En novembre 2023, poésieromande.ch lance une nouvelle enquête auprès des poètes en Suisse romande. Après neuf enquêtes publiées entre 2015 et 2021, sur des questions formelles et thématiques, telles que le vers libre ou l’engagement en poésie, nous avons rassemblé les témoignages de sept poètes sur leurs perspectives face à l’écologie.
Voir les résultats de l’enquête.
Depuis quelques années, l’écologie a pris une ampleur considérable, notamment face à la catastrophe souvent évoquée et qui semble inéluctable. Elle est devenue une des problématiques majeures de notre société. Nous avons demandé aux poètes et poétesses si leur rapport à l’environnement avait évolué ces dernières années, particulièrement dans leur écriture. En quoi leur travail poétique a-t-il été marqué par ces questions? Est-ce que l’écopoésie implique le retour d’une poésie idéologique, voire engagée ? Finalement, la poésie peut-elle soulager une forme d’éco-anxiété plus généralisée ?
Si, aujourd’hui, l’écologie relève souvent du registre de l’alarme ou de l’engagement, qui dénonce notre inaction face à un problème vital, une sensibilité à la nature semble avoir imprégné les poètes depuis longtemps. Françoise Matthey évoque le lien qu’elle a entretenu avec la nature dès son plus jeune âge. Ce lien s’est renforcé avec la constatation que notre monde participe encore et, de plus en plus, à détruire la nature. La poésie constitue ainsi un espace de réflexion et de réconfort face à l’effondrement. C’est aussi la possibilité d’y trouver «par là même un agir salutaire» pour aller contre l’éco-anxiété.
Le poète et slameur Narcisse écrit quant à lui des textes qu’il veut engagés: «c’est pour changer le monde que j’écris. Je n’écris que pour ça. Depuis toujours.» Les questions écologiques se trouvent au cœur de sa poésie. Cependant, son approche a évolué. La volonté d’alerter est devenue une recherche d’espoir. À travers les mots, il rappelle notre lien intrinsèque à la nature et par là en quoi notre humanité peut nous permettre de continuer à espérer.
Thierry Raboud traite également d’une poésie engagée face à la catastrophe dont nous héritons. Le langage y devient une «bifurcation», la possibilité de changer nos manières de penser à travers l’expression de notre monde. Ainsi, la poésie vient d’un dernier élan… de survie.
Cesare Mongodi explique son rapport à l’écologie à partir de son travail de mémoire sur le poète Pierre-Albert Jourdan, dont la poésie, sans être militante, appelle à protéger notre Terre. Mongodi nous dit que la poésie peut indiquer des chemins, mais ne peut pas devenir parti, ou revendication politique, ou encore moins thérapie contre nos angoisses. La poésie, parfois inspirée au contact de la nature, émerge, selon lui, «d’occasions et de résonances affectives».
Anne Bregani, à partir de l’étymologie du terme écologie, interroge le rapport entre nos deux maisons, celle extérieure et celle de l’intime. Elle perçoit un changement dans son écriture poétique, un «entrelacement toujours plus intense et plus fin entre la maison du dehors et celle du dedans.» Là aussi, la poétesse conçoit l’écriture comme une recherche d’espoir.
Finalement, Françoise Delorme considère la haute place de la nature dans sa démarche poétique. Elle se souvient de son engagement optimiste qui souhaitait changer les consciences à travers la poésie. La confrontation à la réalité ébranle cet optimisme et l’amène à se questionner: la poésie peut-elle nous sortir de l’inaction?
Morgane Heine